PRESSE : « La modernisation de notre réseau est au cœur de nos actions », Thierry Guimbaud, directeur général de Voies navigables de France (VNF)

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VNF

LE MONITEUR

Fluvial -

Avec la signature d'un contrat d'objectifs et de performance, VNF voit ses moyens augmenter afin de régénérer ses 6 700 km de fleuves et canaux.

 

Au printemps 2021, vous avez signé un contrat d'objectifs et de performance (COP) avec l'Etat pour la période 2020-2029. Quelles en sont les ambitions ?

Il vise à faire du fluvial un pilier de la transition écologique. D'ici à 2030, plus de 3 milliards d'euros seront consacrés à la régénération et à la modernisation de notre réseau, soit 6 700 km de fleuves et de canaux répartis essentiellement dans le nord, l'est et le sud de l'Hexagone. Nous assistons à une redécouverte du monde fluvial avec trois ambitions : développer la logistique, faire partie intégrante du développement des territoires autour de la voie d'eau et gérer la ressource en eau.

 

Le fret et la logistique fluviale ne semblent pas être encore pleinement exploités en France. Comment comptez-vous y remédier ?

Les axes logistiques importants de grand gabarit représentent 2 400 km de voies sur lesquels un seul bateau peut transporter jusqu'à 5 000 t, ce qui équivaut à quatre trains de marchandises. Schématiquement, on peut transporter le contenu de quatre trains de fret (soit un convoi de 3 km) sur une péniche de 180 m de long, d'où une pertinence économique et environnementale évidente. L'enjeu désormais est de massifier ce mode de transport qui représente aujourd'hui entre 10 et 30 % de parts de marché.

Notre objectif est d'augmenter de moitié le volume de fret transporté par voie fluviale d'ici à 2030, pour atteindre plus de 10 milliards de tonnes-kilomètres, soit plus de 75 millions de tonnes de marchandises. Dans ce but, nous allons développer nos interactions avec les ports et travailler sur les flottes de navires, tout cela en concertation avec des logisticiens.

 

VNF veut aussi devenir un acteur à part entière du développement des territoires autour des voies d'eau. Pour quelles raisons ?

Le petit gabarit représente 4 300 km de voies navigables réparties essentiellement en Bourgogne, dans le Nord-Est et le Sud-Ouest, avec des charges qui ne peuvent excéder les 300 t. Ces petits canaux sont pertinents pour le tourisme et la découverte du territoire. D'ailleurs, les retombées économiques du tourisme fluvial représentaient 1,4 milliard d'euros par an avant la crise du Covid-19.

Pour exploiter davantage ce réseau, nous sommes en train de nouer des partenariats avec les collectivités locales, comme la région Grand Est. Cela va se traduire par des investissements partagés afin d'aller au-delà du strict maintien de la voie d'eau si le projet défini ensemble le nécessite. A noter que le pilotage de ces actions sera concerté grâce à une gouvernance partagée et organisée au niveau de chaque canal.

 

Le troisième volet du COP réside dans la préservation de la ressource en eau. Vous vous trouvez à ce titre aux avant-postes du changement climatique : quelles modifications constatez-vous dans les régimes hydriques ?

En tant que deuxième plus important gestionnaire de volume d'eau en France derrière EDF, nous constatons en effet d'importants changements dans les régimes hydriques des fleuves. Le Rhin connaît par exemple des étiages historiquement bas. Dans ce cas, l'objectif est de préserver la navigabilité du fleuve. A l'inverse, nous devons aussi être capables d'éviter les inondations et donc de stocker l'eau lors d'épisodes de précipitations intenses.

Notre action de préservation de la ressource en eau ne sert pas les seuls intérêts de navigation, elle permet également, par exemple, de refroidir les centrales nucléaires.

Les 150 millions de m3 d'eau que nous gérons à travers nos retenues sont essentiels pour ces différents usages.

 

Sur quelles priorités porteront vos efforts ?

La régénération et la modernisation de notre réseau et de ses infrastructures constituent les fers de lance de notre action. En ce qui concerne le premier point, de nombreux ouvrages présentent aujourd'hui des risques avec, dans les cas les plus préoccupants, la possibilité de devoir fermer des écluses ou des barrages, ce qui peut avoir des conséquences environnementales et économiques dramatiques. Le COP va justement permettre de lancer plus rapidement les travaux. Ainsi, l'axe de grand gabarit qui nous préoccupe aujourd'hui est celui de la Seine, où les travaux ont été significativement moindres que sur le Rhin ou le Rhône. Il est donc prioritaire, d'autant plus qu'il s'agit de préparer les aménagements nécessaires à la mise en circulation de l'axe Seine-Escaut qui comprend le canal Seine-Nord Europe (CSNE).

 

« Nous investissons 70 millions d'euros pour mettre en place la fibre optique et superviser nos installations à distance. »

 

Outre les 5 milliards d'euros alloués par les pouvoirs publics à la Société du canal Seine-Nord Europe pour sa réalisation, nous allons investir 1,7 milliard pour moderniser et régénérer la Seine, l'Oise, ainsi que la partie nord du CSNE.

 

Parmi les chantiers en cours, quels sont les plus emblématiques ?

Sur la Seine justement, à proximité de Rouen (Seine-Maritime), nous avons investi 100 millions d'euros pour la régénération des deux écluses de Méricourt. Il s'agit d'ouvrages anciens, dont les bajoyers [parois latérales d'une écluse, NDLR] présentent des désordres préoccupants, signes de la présence d'infiltrations d'eau. Ce chantier s'avère particulièrement complexe car il se déroule alors que l'exploitation continue.

La Seine représente à elle seule 60 % du trafic fluvial national, avec environ 25 millions de tonnes de marchandises transportées chaque année. Un autre ouvrage d'envergure où les travaux sont en cours est le barrage de Meaux (Seine-et-Marne) sur la Marne. Cette retenue ancienne se situe en plein centre-ville et doit être entièrement reconstruite car elle sert non seulement à garantir le niveau du fleuve en cas de fortes précipitations, comme en période de sécheresse, mais également pour l'approvisionnement en eau de l'agglomération de Meaux.

Globalement, l'enjeu avec les retenues existantes est de parvenir à conserver l'eau à sa cote maximale dans nos ouvrages. Mais pour y parvenir dans les meilleures conditions, nous devons déployer des investissements considérables.

 

La modernisation des ouvrages passe aussi par le numérique. Comment utilisez-vous les nouvelles technologies ?

Pour l'instant, l'exploitation reste à la fois traditionnelle et manuelle. VNF compte 500 installations « habitées », c'est-à-dire qui requièrent une action manuelle sur place. En été, les petites écluses nécessitent presque toujours des actions soit purement manuelles, soit mécaniques avec une assistance humaine. Il s'agit d'un travail très pénible, d'où la nécessité de mettre en place une surveillance et une gestion à distance. C'est pourquoi nous investissons 70 millions d'euros pour installer la fibre optique sur l'ensemble de notre réseau.

Cela nous permettra de rationaliser et de sécuriser nos installations. Notre objectif est de créer notamment 25 postes de contrôle centralisés (PCC) au niveau national, qui autoriseront une supervision et un pilotage à distance. Pour le petit gabarit, l'objectif est de donner davantage de contrôle au pilotage des écluses depuis les bateaux, comme cela existe déjà dans certains endroits.

 

Enfin, la préservation de la biodiversité représente un sujet essentiel, en particulier du fait des plantes exotiques invasives…

En effet. En Lorraine et en Bourgogne, environ 300 km de canaux sont concernés, et leur pérennité même est remise en cause. La plante exotique invasive la plus préoccupante est le Myriophylle hétérophylle, une espèce qui s'auto-bouture pour croître ensuite au rythme de 30 cm/semaine. Elle bloque alors rapidement les hélices des bateaux et perturbe l'équilibre des écosystèmes aquatiques. Ces plantes ont été importées par des aquariophiles depuis l'Asie ou l'Amérique du Nord et se sont retrouvées dans nos cours d'eau. Elles sont devenues problématiques depuis environ quatre ans.

Nous n'avons pas trouvé la solution pour les éradiquer, et tous les acteurs sont d'autant plus démunis qu'elles progressent partout. Le budget qui leur a été consacré a été multiplié par 2,5, voire 3,5, sans régler le problème. Pour cela, toutes les techniques sont utilisées : rideaux de bulles, colorisation de l'eau, etc. Certains proposent d'introduire des carpes d'amour pour les éradiquer, mais cette option risque de générer d'autres dégâts sur la biodiversité. Nous continuons donc d'expérimenter pour trouver des solutions de long terme.